Une aventure ambiguë 8

Les apparences ne jouent pas en ma faveur. Pourtant, les raisons qui m’ont poussé à quitter la ferme et à disparaître, alors que nous avions tous reçu la consigne de rester à la disposition de la police, ne sont pas celles que l’on croit.

La lettre de Mary avait été postée à D. Après une journée à manger de la piste comme un cochon, j’ai pris le premier avion. Il m’a fallu trois jours pour retrouver sa trace. La ville avait beaucoup changé, j’avais perdu mes repères. J’ai appelé Léonard qui, comme à son habitude, a fait un travail remarquable, en mobilisant sa horde de cousins, d’informateurs à la petite semaine et de maîtresses à la langue déliée. J’avais eu recours à ses services à une autre époque de ma vie, alors que je trempais dans une affaire qui aurait dû être juteuse et qui ne m’avait mené qu’à la sécheresse. Il m’a reçu avec les honneurs qu’on réserve à ceux qu’on croyait mort pour la cause. Il me devait une petite faveur et il ne m’a pas été bien difficile de le lui rappeler. Il a retrouvé Mary. 

Je sais pertinemment ce que vous allez dire. Que mes accointances suspectes ne font que renforcer les soupçons que vous entretenez sur moi. Que le fait qu’on m’ait arrêté au fond d’un lupanar n’enlève rien à l’ensemble. Il faut bien vivre, que voulez-vous. Partir à la recherche de Mary m’a donné soif. Je l’ai pris comme une dernière aventure, comme on saisit une dernière chance que vous offre l’existence. J’entrevoyais peut-être aussi que quelque chose était près de se clore. Ou de s’ouvrir, ce qui revient parfois au même.

La lettre ouverte était d’abord restée un long moment sur mon bureau sans que je parvienne à fixer mon esprit. Il avait pourtant bien fallu que je me rende à l’évidence. Mary a toujours été une femme de parole. Elle ne s’est pas démentie. Quand je l’ai rencontrée à D., après toutes ces années, elle m’a d’abord infligé le spectacle de son corps, que les années de service avaient usé jusqu’à la trame. Ensuite, le coup de grâce, elle l’a porté sans ciller. 

À la ferme, rien n’avait bougé. La vache disparue avait été retrouvée. Moreso me l’a rapporté. Sa carcasse gisait à quelques kilomètres de la ferme. Elle avait visiblement été servie aux charognards après un sacrifice rituel. On a trouvé les calebasses tachées de sang et la machette dans les dépendances. Pas même dissimulées. 

Le sacrifice, c’est pour se donner de la force, avant de partir en chasse. Je ne voudrais pas paraître condescendant, mais vous reconnaîtrez qu’il y a là beaucoup d’effets de manche pour tuer un seul homme. Parmi les gars, apparemment, personne n’avait été dupe, tout le monde savait ce qui se tramait, mais pas un ne me l’a soufflé. Après tout, ce n’était pas leur affaire, cette vengeance. J’ai beau être celui dont dépend leur salaire, je reste avant toute chose un étranger. Je ne peux pas leur jeter la pierre, c’est une question de sang. Qui remonte à si loin. Il est écrit quelque part que nous resterons longtemps des exterminateurs et des esclavagistes. Il faut penser que c’est infusé dans leurs veines.

Mary n’a fait que le confirmer. Juste retour de balancier. Le poison, il m’était destiné.