Les phrases de la mâcheuse – extraits

Les tresses-moustaches

« Cette année-là, le roi (Midrashti, ou Jean-Paul, je ne sais plus) décida que tous les hommes du pays allaient porter la moustache, et que toutes les femmes devraient, chaque matin, arborer de longues tresses. Ainsi décida-t-il. Et il fit en sorte que la nouvelle se répandît dans tout son royaume.

La nouvelle éclata en effet comme un feu d’artifice: beaucoup de bruit, pétards et explosions spectaculaires (le roi, bien entendu, avait fait battre tambours et sonner trompettes, comme il se doit). Après, il ne resta plus qu’une vague odeur de brûlé. <…> »

 

Les phrases de la mâcheuse

« <…> Je la regardais en silence, elle continuait à avaler ses gros loukoums colorés, avec constance et application, on eût pu croire une mécanique finement huilée, mais les larmes débordaient continuellement de ses yeux noirs, qui se tournaient parfois furtivement vers l’écran de la télévision allumée, dans un coin de la salle. Je ne peux plus dire si les autres clients les avaient remarqués aussi, ses loukoums et ses yeux qui pleuvaient, je ne me rappelle plus s’il y avait d’autres clients dans le café, si la vieille aux chiens avait cessé d’aboyer, si le pochard s’était endormi, si la putain se reposait, si les gros bras la tripotaient encore, si les autres avaient encore leurs mains ligotées, les couilles prises dans les machines à sous, le coeur en apnée, je ne me souviens plus si le patron avait retrouvé un semblant d’énergie et si les toilettes avaient enfin été nettoyées. Je me rappelle ce visage qui mastiquait et que les larmes parcouraient comme une terre arable. J’avais enfin osé le mot, la question, je l’avais enfin posée, après avoir attendu longtemps, peut-être le temps de douze ou treize loukoums, peut-être plus; j’avais demandé pourquoi pleures-tu pourquoi, comme si elle allait soudain s’arrêter de mâcher et tourner vers moi ses yeux rivés à la télévision qui clignotait comme un attention travaux de démolition en cours <…>

écouter un extrait du texte lu par l’autrice sur Sonalitté 

Les dessins présentés ici, comme tous ceux du livre, sont des réalisations de Dominque  Maes.