nous

Oui, c’est vrai. J’ai attendu un signe de toi pendant des semaines et des mois. Parfois, ça ressemblait à des années. J’attendais et je me demandais si tu allais bien ou mal, si j’avais pu te blesser, si quelque chose avait pu te faire fuir. Peut-être allais-tu trop bien, surfant avec fluidité d’une vague à l’autre, à tel point que les échanges en devenaient superflus. Ou peut-être au contraire qu’il te fallait survivre, dans un tourbillon de courants contraires, et que ça n’autorisait aucun geste de trop, aucune parole même, car elle aurait trahi ta faiblesse, ton impuissance ou cet essoufflement profond que tu cherchais tant bien que mal à contenir. J’attendais. J’essayais d’éviter de penser que ce n’était qu’indifférence. Cette pensée, si elle venait, je la mettais en garde. Car je te connais. Et je connais ta vitalité, ton élan d’enfant toujours vivant, toujours curieux de l’autre, malgré les bosses et les déconvenues.

Moi j’avançais vers un seuil, une sortie, sans savoir aucunement ce qu’il y aurait une fois que je l’aurais franchi, prête cependant à y aller, brodant jour après jour les motifs de l’espérance. Je pèse mes mots : l’espérance. Ni l’espoir, ni la confiance, ni le déni, ni la négligence, ni l’illusion ; plutôt l’intuition que tout est déjà contenu dans le battement du sang, dans le balancier du souffle, dans le mouvement qu’ils animent et qui nous façonne. Parfois, tout même, je me prenais à espérer très fort des promesses. Je crevais d’envie d’avoir des réponses, de pouvoir poser ma langue sur les mots précis de mon devenir, maîtrisé, construit, délibéré. Et dans ces moments-là, je désirais des voix amies, des voix douces, familières, aux inflexions aimantes. Je rêvais de cet accueil inconditionnel : quand on dit votre prénom et qu’on vous ouvre grand la porte, sans jauger votre vie, sans prétendre la conduire. Le seul chez soi que je n’aie jamais pu envisager. 

J’ai fait des rencontres renversantes, j’ai été couverte de bienveillance et de surprises. J’ai trouvé les complicités joyeuses, tendres et rigoureuses qu’il fallait. Car il me les fallait. Trouver ces autres qui luisent sous les masques, recroquevillés ou simplement assis au sec, dans l’économie de leurs forces. Je les ai tant cherchés, aussi loin que je m’en souvienne, je les ai cherchés, ces autres dont je puisse sentir le pouls, la vie battre contre le monde. Et dont je puisse percevoir l’amour, émietté, constant, l’amour qui va, comme va l’eau, vers les failles. 

Jamais je n’ai été capable de trouver les mots justes, mais mon corps apprend maintenant chaque jour que je peux me dresser, sans peur, au-devant de tous. Me redresser, même si je suis de celles ou ceux qui n’ont jamais connu les façons, jamais su les limites, jamais compris les formules, même à jamais inadaptée, toujours à côté de la plaque, paniquant en secret de ne pas comprendre, ni apprendre, mais comment font-ils les autres, comment font les gens, comment peut-on vivre ? 

Je sais que tu partages avec moi cette panique, cet ébahissement bien déguisé, je sais que la stupeur te guette, comme moi, et que tu trouves alors très bien comment te secouer, donner le change, donner le change sans l’ombre d’une hésitation, sans l’ombre qui pourtant te couronne et te redonnes, comme à Peter Pan, la densité d’être soi, fragile, combatif et terrien. 

Et parce que nous la partageons, parce que nous l’avons admise et que nous la reconnaîtrons encore, nous serons toujours en lien. Être délié.e.s et ensemble, quoi qu’il arrive. Que les signes tardent, que le langage résiste ou que nos empreintes ne laissent plus de contours. Ailé.e.s, en soi le nous.